« Où est la raison ? » - Documentation du mouvement contre le projet de loi « sécurité globale » - À Paris, de novembre à décembre 2020
Fin novembre 2020, le mouvement contre le projet de loi « sécurité globale » éclate en France. Alors que la population est confinée depuis maintenant un mois, l’assemblée décide de voter une loi qui vise notamment à restreindre la possibilité de diffuser des images des forces de l'ordre et à augmenter la surveillance généralisée des manifestations à l’aide de drones.
Un premier rassemblement se tient de 21 novembre 2020 sur la place du Trocadéro et marque le début d’une longue série de manifestations jusqu’à la fin de l’année 2020.
Ce mouvement venait remettre au cœur du débat le rôle des photographes dans la manifestation.
Si nous jouons un rôle de « médiateur » entre les deux camps, quelles sont les implications de la diffusion d’images violentes ? Où se trouve la limite entre le militantisme et le journalisme ? Comment devons-nous jouer notre rôle de témoin ?
Témoignage de Gabrielle Cézard (de dos sur la photo) alors que son ami photojournaliste Ameer Al-Halbi vient d'être blessé lors de la manifestation du 28 novembre 2020
« Vous êtes, déjà, probablement nombreux à avoir vu ces terribles images que j'ai prises d'Ameer Al Halbi un photographe syrien indépendant et un très bon ami. Il a été grièvement blessé, aujourd'hui à Paris, par la police pendant une charge très violente aux abords de la Place de la Bastille, probablement par des coups de matraque et/ou de boucliers. Il se trouvait près de moi, entouré de photographes identifiables comme tels (brassards, casques, boitiers etc...) et sur le côté.
Malgré son état, qui nécessite clairement une prise en charge médicale, accompagnés de deux streets medic, nous avons mis une bonne vingtaine de minutes à sortir du dispositif, se faisant balader par les forces de l'ordre d'un bout à l'autre de la place.
Il va "bien", probable nez cassé, une arcade sourcilière ouverte et une bonne quantité de sang avalée. Il va s'en remettre physiquement et avait le sourire quand je l'ai quitté à Lariboisière. La blessure est, d'après ce qu'il m'a dit, psychologique. Je connais Ameer, depuis son arrivée en France il y a 4 ans environ pour fuir la guerre en Syrie. C'est un garçon formidable habitué des situations à risque, qui a couvert le conflit en Syrie et de nombreuses manifestations à Paris.
En attendant les pompiers, il s'est effondré en larmes dans mes bras, juste comme ça sans rien dire (moi qui ne suis pourtant pas très câlin j'ai été submergée par une émotion indescriptible). Puis il m'a confié qu'il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas ce qu'il avait fait de mal, pourquoi il avait mérité ça, pourquoi il avait été puni parce qu'il faisait des photos ? Ce soir, il a eu peur, moi aussi. Cette dernière a manifestement changé de camp.
16 mars 2021.
Quatre mois après son adoption par les députés, les sénateurs examinent la proposition de loi de la sécurité globale.
Pendant ce temps, l'article 24 a totalement été réécrit. Les sénateurs proposent de créer un délit sanctionnant non plus la "diffusion" d'images, mais la "provocation" dans le but manifeste de porter atteinte à un agent des forces de l'ordre. Les manifestants présents devant le Sénat demandent eux l'abandon pur et simple de la loi.
Ce n'est que quelques mois plus tard plus que le Conseil constitutionnel censure totalement l'article 24, le 20 mai 2021.