Fotopaklè
La publication en mars 2017 du premier numéro de Fotopaklè / Frontière (s) marque un tournant pour K2D, celui de l’édition d’une revue de photoreportages. Un périodique qui est vite devenu l’outil par lequel le collectif expose le journalisme de reportages auquel il croit. Une photographie sociale, qui expose les enjeux et contribue à davantage de débats sur les problèmes sociaux en Haïti.
Urgence (s) / le fil rouge
Le monde d’aujourd’hui bouge au rythme de débats houleux et passionnants autour de la problématique du réchauffement climatique et de ses désastreuses conséquences. En Haïti un pays en état d’urgence environnemental, malheureusement il n’en est rien. Comme si nous étions exempts de ses retombées, les esprits et discussions se focalisent de préférence sur d’autres urgences comme l’insécurité, la prise du pouvoir, la faim, la sécheresse, le choléra, etc. Quelques gouttes de pluie voire une coulée de boue suffit pourtant à
nous rappeler qu’il y a péril en la demeure.
Ainsi, dans une logique de rupture face à ce comportement fait de déni collectif et d’incurie étatique, le Kolektif 2 Dimansyon (K2D) réunissant des photographes, rédacteurs et vidéastes tire la sonnette d’alarme sur l’urgente nécessité de sauver l’habitat. Il est minuit moins deux.
Nous croyons profondément au rôle de la photographie sociale et documentaire. Dans sa visée émancipatrice pour nos lecteurs et pour la société toute entière. Montrer les situations de vulnérabilité, exposer les problèmes pour les dénoncer mais aussi contribuer aux actions qui mèneront à la résolution des problèmes sociaux, ce sont là des dynamiques presque militantes dans lesquelles nous nous inscrivons.
Les sujets et les lieux que nous photographions dans ce numéro 2 de Fotopaklè ne sont pas extérieurs à nous. En effet, il arrive pour certains qu’ils soient des proches et/ou des contés de provenance. Ce qui fait qu’en tout temps au cours de ce travail, notre souci premier a été de montrer avec compassion, respect et sollicitude donc beaucoup d’humanité. Sans brader l’information, sans sensationnalisme et surtout sans complaisance aucune avec ceux qui sont aux respon- sabilités. C’est une revue pour prendre de nos nouvelles, pour aller vers l’autre et avec ce dernier porter une pierre à l’édifice du « vivre ensemble dans l’hospitalité de cette terre ».
Sans angélisme, sans naïveté, nous avons souhaité livrer dans cette revue nos appréhensions en photographie de la situation précaireenvironnementale. Faire une revue qui donnerait à voir plus d’émotions, plus d’empathies, plus de rencontres, que des prouesses artistiques ou techniques creuses. S’il y a des écueils aux conventions, nos sens régulièrement sens dessus dessous, nous n’avons pas fait économie des cœurs. Pressés. Les images que vous tenez entre les mains évoquent sans équivoque l’abandon du pays par les manda- taires et l’enfermement dans lequel se retrouvent les femmes et les hommes qui doivent faire face à des insécurités chaque jour grandissantes.
À de nombreuses reprises, les politiques consacrent une année, des institutions, des évènements, des diners, des projets et des fonds aux problématiques environnementales. Pourtant sur le terrain, nous nous rendons compte que l’impact de tout ceci est pour ainsi dire nul et restons avec l’impression que ce ne sont là que des subterfuges pour évacuer les débats après le glas des catastrophes qui se font récurrentes.
Quand nous sommes partis à la rencontre des gens sur le terrain, nous avons été touchés de plein fouet par la précarité qu’ils vivent. On leur doit beaucoup, ils demandent peu, n’empêche qu’ils n’auront rien du tout. Des situations qui nous offusquent, puisque les voix des journalistes, dans le méandre politique, sont de plus en plus inaudibles. Bien des fois nous nous sommes sentis autant démunis qu’eux.
Les méfaits de l’exploitation minière sur l’environnement de l’île, l’utilisation du sable marin dans la construction d’abris précaires favorisant l’apparition spontanée de nouveaux quartiers, la squatérisation des abris précaires du centre-ville de Port-au-Prince, l’urbanisation du Morne l’Hôpital, le déboisement à outrance des mornes et plaines, la mauvaise gestion des déchets solides, la sécheresse persistante qui accable de nombreuses régions du pays, la forêt des pins et sa communauté prise en tenaille en son sein, le don du fleuve Artibonite, sont entre autres choses, des problématiques qui nous ont intéressées et que nous avons jugées très urgent de traiter.
Au fur et à mesure du travail, nous nous sommes rendus compte que nous n’étions pas loin de la ligne de rupture. Nous voulons croire qu’il n’est pas trop tard. Que nous allons retrouver nos esprits après la gueule de bois, que la conscientisation peut encore porter ses fruits, que les autorités concernées fixeront le cadre manquant, que la société civile s’agrègera pour un sauvetage in extremis du bien commun. Laisser les choses comme telles, c’est laisser des citoyens creuser leur propre tombe à la recherche d’une vie meilleure. « Chache lavi, detwi lavi. »
Le titre Urgence(s) traduit ce besoin d’intervention des forces vives haïtiennes, des corporations, somme toute de chaque citoyen. Naufragés, nous abandonnons aux vagues une dernière bouteille à la mer. Pourvu qu’elle interpelle les consciences et dote les générations suivantes d’armes d’indignation pour qu’elle gère autrement que nous l’environnement. À la croisée des chemins de nos problèmes existentiels : « Il est Minuit moins deux ».
Milo Milfort / K2D