Les oubliés du périphérique parisien, décembre 2020
Suite au démantèlement du plus grand camp de migrants de Paris à Saint- Denis le 17 novembre dernier, les migrants sont chassés de plus en plus loin du centre de la capitale.
« Même si vous avez le sentiment que vous allez arpenter beaucoup de terrain pour trouver peu de monde, c’est normal », explique Philippe aux bénévoles de l'association solidarité Migrants Wilson. « Si on est obligés de faire ça, c’est parce qu’on cherche des gens qui se cachent. Les gens sont poursuivis et harcelés par la police. »
Cette situation est rendue d’autant plus visible suite aux mesures de couvre-feu en vigueur, à un moment où tous les habitants sont confinés chez eux. « Et ce qu’on voit, c’est de la police, partout, qui chasse les gens, ce qui fait qu’ils sont repoussés de plus en plus loin de Paris. Aujourd’hui, il y a des équipes qui vont devoir aller bien au-delà du périphérique. »
18h48 - Porte de Pantin, sous le périphérique
Nous démarrons notre maraude à Pantin, au niveau du périphérique. Deux hommes sont présents, l’un, dans une tente, nous accueille gentiment. L’autre semble installé depuis plus longtemps. Il a amassé beaucoup d’objets mais il n’a pas de tente. Il nous remercie chaleureusement du repas qu’on lui offre et commence à entamer la discussion. Il nous montre les blessures qu’il s’est fait en cherchant de la ferraille l’autre jour. « Fils de Dieu », nous répond-t-il quand on lui demande son prénom. Puisque personne ne s’intéresse à lui alors c’est ainsi qu’il a choisi de se présenter aux autres. Après quelques blagues, une tape sur l’épaule, on décide de partir.
Un peu plus loin le long du périphérique, on trouve deux tentes faisant face à la route. De l’autre côté, d’autres objets, des vêtements, des couvertures, des matelas sont amassés autour d’un arbre. On appelle une première fois mais personne ne nous répond. On tente de les rassurer et d’expliquer à plusieurs reprises que nous sommes une association. Ils craignent parfois la venue des policiers. Laissés sans réponses, on décide donc de rentrer dans le grand entrepôt abandonné juste à côté. C’est un grand hall, qui s’étend sur une centaine de mètre.
La semaine dernière, nous y avions rencontré un jeune homme d’à peine vingt ans qui parlait anglais et qui nous avais partagé son Facebook ainsi qu’une femme, qui avait trouvé refuge dans une cage d’escalier. Elle avait mis longtemps à nous ouvrir. Elle se cachait, non pas des services de police, mais d’un autre homme sans-abris qui visiblement lui avait fait du mal. Cette fois-ci, ni le jeune homme, ni la femme ne sont ici.
Nous découvrons avec étonnement que la porte de la cage d’escalier où elle résidait est entrouverte. Il semble qu’une explosion ait eu lieu. On décide de rentrer dans la cage d’escalier et de continuer à crier son nom. A l’intérieur, se trouve un tas d’objets en désordre disposés aléatoirement entre chaque marche, une baguette de pain ici, des vêtements jetés dans tous les sens là.
Après plusieurs tentatives, on décide finalement de ressortir de la cage d’escalier et de l’entrepôt. Un homme dans une des deux tentes finit par nous répondre. Il est kabyle. Nous l’avions rencontré la dernière fois. Il accepte notre repas mais décide cette fois-ci de rester dans sa tente. Il nous explique qu’il a des problèmes de reins et qu’il n’a pas pu aller à la messe aujourd’hui, comme à son habitude. Il a une radio qu’il écoute quasiment tout le temps. On lui demande des nouvelles de la femme que l’on ne retrouve pas, il nous raconte qu’un de ses amis toxicomane à mis le feu à l’intérieur de l’entrepôt. C’est pour cette raison qu’elle est partie.
20h48 - Proche de la porte de Bagnolet
On s’approche de Porte de Bagnolet, où on retrouve un autre groupe de migrants que l’on avait rencontré la dernière fois. Ils sont nombreux à se réchauffer ici au dessus des échappements des égouts.
On fait la rencontre de Khalid, qui nous alerte au sujet d’une tente laissée à l’abandon à nos pieds. Il nous explique qu’elle appartient à un certain Ali, un homme d’une soixantaine d’années, qui s’est fait frappé par un autre sans-abris pendant qu’il dormait dans sa tente. Il a fui un peu plus haut et laissé sa tente ici, déchirée. Khalid a 39 ans, il vient du Maroc. Il est monté à Paris il y a trois ans parce qu’il se disait qu’il gagnerait mieux sa vie ici. Il a travaillé dans les dégâts des eaux et a perdu son travail avec la crise. Il a juste envie de retourner au Maroc pour retrouver sa mère, son père étant décédé il y a peu. Il avait les larmes aux yeux en nous parlant, nous expliquant combien sa vie était mieux avant.
Derrière nous, l’un des trois hommes commence à jeter une chaise sur le sol, à plusieurs reprises. Une femme se tient par terre, une bière à la main. Khalid ne semble pas choqué par la scène et nous assure qu’il n’y a pas de problème. On décide de partir. Alors que nous sommes dans la voiture, Khalid se rapproche de la femme, caresse le chien à ses côtés et nous fait de grands signes pour nous dire au revoir. J’espère qu’on le reverra la prochaine fois. Il nous a assuré qu’il était souvent présent ici.
On décide donc de partir à la recherche de Ali là où on nous avait indiqué Khalid, un peu plus haut, au niveau du rond-point mais en vain.